Nathalie GAUGLIN

Les yeux. Voilà ce qui attire l’attention au premier contact. Deux mystères fuligineux, profonds comme des abîmes de solitude. Deux trous noirs qui absorbent la lumière alentour. Deux points d’interrogation qui vous dévisagent et vous prennent à témoin de l’infortune dans laquelle un destin contraire les a entrainés.

Au bord de ce regard hypnotisant, une ombre charbonneuse, le lit d’un ancien torrent, indique que les larmes ont ici abondamment coulé. La joue est encore humide, la détresse palpable, subsiste encore un peu d’hébétude, un zeste d’incertitude... Par bonheur, l’orage au loin s’en est allé, les coups de tonnerre, les grondements, les éclairs appartiennent désormais au passé.

Du visage penché sur de vieilles souffrances, du corps recroquevillé sur lui-même qui s’abandonne ingénument au temps qui passe, qui se pelotonne contre le corps d’un autre semblable, irradie quelque chose qui s’apparente à l’espoir insensé d’une existence enfin délivrée des tourments qui l’ont jusque là ruinée. Personnifié, là, devant nous, l’abandon total, le don de soi - une sérénité profonde qui vient défier les lois humaines et leur cortège de calamités. Il y a dans cette sculpture, outre une infinie tendresse, la promesse formelle de ce qu’il n’adviendra plus à l’avenir rien de définitif, rien de tragique. Les lendemains s’envisagent dorénavant avec confiance, le plus dur est à jamais derrière nous...

Chaque personnage ici se laisse donc couler en des profondeurs intimes qui le rendent certes vulnérable, fragile, mais dont il tire une force telle que nulle avanie ne saurait plus à présent l’aliéner. Il est libre en somme. Libre, mais non dépourvu de mémoire, et dans son attitude, dans la façon qu’il a d’incliner le buste, de vous voir sans vous voir, se devinent encore un peu des afflictions passées. Rien n’est effacé, mais tout s’efface à mesure que le calme revient.

Au contraire de certains confrères, qui font hurler les chairs de leurs personnages de pierre, de bronze ou de bois, qui font exulter les matériaux, déchirent l’espace tout autour, l’emplissent de bruits et de fureurs, Nathalie Gauglin préfère arpéger du silence, et le hanter de mille chuchotements carnés, roses comme la terre du Puy-de-Dôme, cette terre si particulière – par son grain, sa matité après cuisson - qu’elle utilise depuis près de vingt ans.

Demeurent profondément enfouis dans la chair de ses créatures le trop-plein de révolte, l’excès de peine, le surplus de malheur. Soucieuse d’offrir au regard du spectateur un visage aussi serein qu’un ciel limpide qui serait seulement strié par endroits de quelques nuages en voie d’évanouissement, Nathalie Gauglin donne à ses personnages figure d’ange, et nous offre à voir des âmes sans défense et sans haine. Comme pour désarmer par avance toute forme d’agressivité, comme pour suggérer là quelque alternative au monde violent qui est le nôtre.


Ludovic Duhamel
– Directeur de Publication du magazine Miroir de l’Art